Le contexte de « Black Lives Matter » aux Etats-Unis remet le sujet des violences policières en avant, aussi en France. Le rap français s’est engagé depuis le début au sujet des violences policières. Mais comment la frontière entre la police et la culture du rap s’est tracée ?
Les « rodéos de la violence »
La situation française dans les années 80 n’est pas à nier. Les banlieues font l’objet d’énormément d’amalgames. La violence de la rue est un sujet encore bien inconnu. L’objet culturel qui permet d’élever la voix sur cette réalité morose est bien le rap. Ici, nous parlons bien évidemment du rap français. Mais en fait, tout débute aux Etats-Unis. Le contexte de conflits entre banlieusards et police est bien installé. Alors se développe un rap à coutume plus provocante et au langage choquant, le gangsta rap. Celui-là même qui dénonce les dérives de la police américaine et la dureté de la rue, sans manquer d’égo trip.
Des personnalités comme le groupe N.W.A., Tupac, Snoop Dogg et Notorious Big, sont des figures du genre ; ils ont leur gloire aussi en France. La musique rap de l’Hexagone reprend cette tendance pour pointer du doigt ses propres injustices. Les relations entre la culture du rap et la police débutent avec les émeutes qui incendient la France. En 1981, les médias s’emparent des émeutes qui se déroulent dans le Rhône à Vénissieux, Minguettes, Villeurbanne ou Vaulx-en-Velin.

On diffuse à la télé les affrontements et les téléspectateurs français comprennent l’enjeu social qui se joue. La situation s’aggrave quand un CRS et un gendarme sont blessés et qu’une centaine de voitures sont incendiées. L’époque est aux émeutes. Nous parlons d’ «Intifada de banlieue », les maires des alentours appellent à la répression policière.
Les jeunes en ont marre et n’hésitent pas à le faire entendre à la télé : « Dans ce quartier c’est tous dans le même sac », « Dans les jeunes, il y a des français, il y a des italiens, des algériens, des juifs… », « C’est une humiliation, il y a du racisme, de la ségrégation, on est refusés dans les boîtes de nuit, il y en a marre ! ». Ces injustices qu’ils connaissent au quotidien les engageent dans une guerre contre les forces de l’ordre.

Les émeutes éclatent un peu partout en France et de plus en plus fréquemment. Les incidents meurtriers se font plus nombreux : blessure par balle par la police de Toumi Djaïdja en 1983, mort par balle de Djamel Chettouh, 18 ans en 1991, quand un vigile lui tire dans la poitrine à Sartrouville et 1992, Mohamed Bahri, 18 ans également, tué par les gendarmes à la suite d’une course poursuite, à bord d’une voiture volée.
De la rue à la rime
C’est dans ce contexte plus que complexe que le rap s’engage sur la violence policière et les injustices que connaissent les jeunes de banlieue. Lorsque N.W.A. rappait le titre « Straight Outta Compton » en 1988 aux Etats-Unis, qui résonnait provoc’ avec un « Fuck da police » bien affirmé, en France, nous avons aussi une provocation anti-police qui émerge. Ministère A.M.E.R. conçoit le titre « Brigitte, femme de flic » et scande les paroles bien connues « Les femmes de commissaire, veulent avoir leur gangster ».
Les autres s’y mettent mais sont plus directs. L’époque des années 90 sonne comme un premier souffle d’engagement du gangsta rap, contre la violence policière française. Les signes de contestation par la musique se font entendre. Elles sont parfois trop virulentes pour que la radio ose les passer. Certains titres de Lunatic notamment, s’inscrivent sur la liste noire des radios francophones. D’autre part, le rappeur Hamé, membre de La Rumeur, publie un pamphlet dans lequel il dénonce qu’une centaine d’entre eux « sont tombés sous les balles de la police ».
Nicolas Sarkozy, à l’époque Ministre de l’Intérieur en 2002, intente une action en justice contre La Rumeur pour ces paroles. Résultat, après 8 ans de procédure juridique, Hamé, du groupe de rap, réussit à vaincre le politicien. En 1999, le 113 en rajoute un coup avec « Face à la police » en rappant « Face à la police, me rendre hors de question ! ». Monsieur R s’y met aussi : « Je suis passé du banc de l’école au banc des accusés pour avoir traité un putain d’flic de fils de pute ». C’est dit.

Au début des années 2000, le rap rentre un peu plus comme musique populaire. Mais l’engagement contre les exactions policières ne s’oublie pas. De nombreux politiciens portent plainte à la suite des paroles accusatrices et insultantes du gangsta rap. Plusieurs rappeurs gagnent leur procès. Néanmoins, cela ne sera pas le cas de NTM, qui perd son procès pour « outrages à personnes détentrices de l’autorité publique », en 1996.
Le passé gravé dans la roche
Aujourd’hui, les propos provocateurs du rap sont atténués. Le rap gagne un peu plus d’écoutes chaque jour et fait définitivement partie de la culture musicale française. Que cela soit GIMS, qui a remplit le stade de France, à Sofiane, qui se veut plus underground et plus dénonciateur, le rap est enfin intégré. Cependant, les convictions contre la violence policière sont toujours présentes, surtout en pleine controverse de violences impliquant des représentants de l’ordre, dans le monde.
Dans son dernier clip avec Dadju, S-pri Noir réserve quelques minutes de plan où le nom des victimes de violences policières apparaît. D’un autre côté, certains rappeurs ont changé de discours. Pour Damso, qui ne se prive pas pour autant de dénoncer le racisme, le succès, c’est « quand les flics t’arrêtent que pour discuter ».
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