Le rap est la musique la plus écouté en France, tout les chiffres le montrent. Pourtant, tous les morceaux se ressemblent à la radio, et aucun, ou presque, n’a un message conscient ou politique. À l’heure de l’ego trip à tout-va, le rap est il encore engagé ? Tentons une réponse.
1998. L’équipe de France de football remporte la Coupe du Monde 3 à 0 face au Brésil. Scène de liesse dans les rues, « Zizou président » sur l’Arc de Triomphe, la France Black Blanc Beur. La France est sur le toit du monde, que ce soit en sport ou en rap.
Il y a 22 ans, sors la plupart des meilleurs albums des meilleurs rappeurs de l’histoire du rap. La Fonky Family, Suprême NTM sort son album éponyme, Oxmo Puccino nous donne « Opéra Puccino », Shurink’N en solo propose « Où je vis », Arsenik sort « Quelques gouttes suffisent », Hocus Pocus avec « Seconde Formule », ou MC Solaar prennent encore plus la lumière, Idéal J continue son combat, Stomy Bugsy a « Quelques balles de plus au calibre qu’il te faut », Doc Gyneco revient avec la compilation de « Liaisons dangereuses ».
Surtout, Imothep sort ses « Chroniques de Mars », La Rumeur « Le deuxième volet : Le franc-tireur », IAM nous amène la compilation maxi de « L’école du micro d’argent », la Mafia K’1 fry sort son EP « Légendaire » et Cercle rouge nous refait savourer le maxi de « 16’30 contre la censure. »
Nous pourrions continuer cette liste indéfiniment. La plupart de ces albums sont devenus des classiques, et il est possible de voir un point commun entre presque tous ces albums et rappeurs : leur engagement. Qu’il soit politique ou social (bien souvent, les deux sont liés), ils dénoncent ce qu’ils voient.
22 ans plus tard, le constat est bien différent. Les titres engagés se comptent sur les doigts d’une main, préférant mettre en avant la réussite financière, la plupart du temps illégale. Soit l’inverse de ce que voulaient les rappeurs de la fin du siècle dernier.
La fin du rap de grand frère
« On n’avait pas besoin de dire ‘rap conscient’ le rap était conscient par lui-même ». Lors d’une interview sur le plateau de RFI pour l’émission « légende urbaine » de Juliette Fievet, Kery James, le chantre du rap engagé en France, considère que l’évolution du rap à travers les années à fait du rap conscient une catégorie parmi d’autres, au profit d’un rap moins réfléchi et plus violent. Il dresse le même constat dans le documentaire d’ARTE « Saveur bitume ».
L’un des rôles du rap, à cette époque, est de montrer au plus grand nombre ce qu’il se passe dans les quartiers, loin des yeux des médias. Un rôle qu’on accepté la plupart des rappeurs. « On se considérait comme des journalistes du quartier. On décrivait ce qu’on voyait, on écrivait dessus », font savoir Shurik’n et Akhenaton du groupe IAM, dans ce même documentaire.
Avec cette volonté d’illustrer et d’expliquer la vie dans les quartiers périphériques, les rappeurs ont pris le rôle de grand frère. Les grands frères du quartier et les grands frères de leur public. C’est ce que fait, par exemple, Tandem, en 2005, avec le culte « 93 hardcore ». Le message éducatif est bien présent à travers l’évocation de la vie en Seine-Saint-Denis. « Si tu as fait de belles études, c’est mieux qu’une Benz sait tu ? »
Ne pas faire de conneries, éviter la drogue et les armes pour se sortir de la précarité. Désormais, le message s’est inversé. Le rap mis en avant, et même celui plus underground, ne met plus en avant un message d’espoir à l’attention des jeunes. Pour la nouvelle génération, le seul moyen de s’en sortir est de prendre les chemins tortueux de l’illégalité. La drogue en tête. Le rap en a toujours parlé, et que le chanteur ou le groupe soit engagé ou non, mais ces thèmes sont devenus la norme.
Le « Gangsta rap », plus à même de parler de ces sujets, est devenu la vitrine du rap français depuis plusieurs années. Les rappeurs ne se formalisent pas à un seul thème. Il est possible de voir sur un album un morceau très engagé entouré de titres faisant l’apologie de la violence et de la drogue, suivis par un single très poétique, voir plus chanté que rappé.
Néanmoins, ce qui se vend, et qui s’écoute le plus, n’est plus un rap aux paroles engagés, voir politisés. Il n’y a qu’a jeter un œil aux classements des titres les plus streamés en France durant l’été 2020. Aucuns artistes au rap engagé dans les vingt premiers. Mais, si les jeunes rappeurs ont moins d’engagement dans leurs morceaux, c’est aussi que les jeunes auditeurs n’écoutent pas ce genre de musique. La jeunesse est, peut-être, moins politisée. Pour Mokless, le rap dit conscient « est devenu has-been, ringard », pour Kery James « C’est devenu une honte d’être revendicateur dans le rap ».
L’évolution parallèle de la société et du rap
Pourtant, la jeunesse se fait de plus en plus entendre. Elle est la première à s’engager pour qu’une action envers le climat soit mise en place. Greta Thunberg en tête. Et c’est là que le rôle du rappeur et du rap en général se termine. Le rap n’est qu’un émetteur. Un moyen de transmettre au plus grand nombre les informations sur les quartiers, la précarité, les amis, la violence, et les codes qui viennent des cités. Cette musique, comme toutes les autres et l’art en général, n’a pas vocation à mettre en place des actions. Kool Shen le fait savoir au milieu des années 1990. « Un rappeur ne résout pas de problème, il n’est là que pour constater ».
Et ce que l’on remarque, c’est la violence de plus en plus présente dans la société, et parallèlement aussi dans le rap. Une observation qui s’est accentuée depuis les émeutes de 2005, creusant plus profondément le fossé entre le pouvoir politique, la société et les quartiers décrits dans les textes. Invité de la matinale de France Inter le 22 novembre 2018, Kery James assure contempler cette évolution similaire du rap et de la société. « Les rappeurs maintiennent nos petits frères dans la médiocrité. Que ce soit dans la recherche du verbe ou dans le message. Qui est souvent un message qui fait l’apologie de la violence et de l’auto destruction ».
Il continue et comprend aussi les raisons qui poussent les auditeurs, et donc les rappeurs à s’éloigner des messages d’éducation et de remise en cause de la société. « Le rap a une résonance sur la réalité du quotidien, surtout des cités. De plus, la situation sociale est tellement grave que les gens ont envie d’oublier. » Ne pas penser au mauvais état de la société en écoutant des chansons moins réfléchis dans le verbe se tient et se comprend. Toutefois, faire de la musique populaire, que ce soit du rap, de la pop, du reggae ou autre, n’empêche pas d’être engagé.
Malgré tout, les morceaux qui font l’apologie d’un certain mode de vie qui va à l’encontre de la légalité sont déjà des titres engagés. À leur façon. Quand Ninho sort « Carbozo 2.0 » en disant qu’il a toujours rêvé d’être un baron de la drogue, c’est de l’engagement. Quand Koba LaD braque une banque avec SDM, c’est de l’engagement. Quand Rim’K tourne le clip de « Valise » avec des liasses de billets et des armes de guerre en se parodiant en parrain, c’est de l’engagement. C’est le même engagement que Tandem en 2005, dans « 93 hardcore ». Tandem disait : « Je b*****ai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime ». La France n’a pas voulu les aimer ni les aider à ce sortir des quartiers et de leurs contextes compliqués. Ils s’en sont donc sorti tout seuls. Et le meilleur moyen est de passer par le crime.
Nombre de poètes, maudits ou non, ont utilisé leur art et leur plume afin de décrire le monde dans lequel ils vivaient. À travers leur spleen se lisait la société de leur temps, avec ses bonnes et ses mauvaises choses qui la rende réelle. Ces poètes étaient les journalistes artistiques de leur temps. Ils décrivaient leur monde à travers leurs états d’âme. Les chanteurs ont repris le flambeau, par les différents genres. Le rock en son temps, puis le punk se sont plus engagés que les autres. Le rap a ensuite pris la place.
IAM ou NTM ou Idéal J chantaient les problèmes sociétaux de leurs cités et que le seul moyen de s’en sortir était l’éducation, ces paroles fonctionnaient avec le contexte sociétal de l’époque. Quand Ninho parle de guerre des gangs et de drogue et que les armes sont les seuls moyens de s’en sortir, ses paroles fonctionnent avec le contexte sociétal actuel. Et aussi dénigrés sont-ils, ces jeunes rappeurs sont les poètes de demain. Bernard Zekri, journaliste, le dis lui-même dans le documentaire d’ARTE, « ne serais ce que pour la langue française, que, probablement, plus tard, on étudiera à l’école des choses écrites par des rappeurs. C’est incontestable. »
Les poètes du nouveau millénaire
Nombre de poètes, maudits ou non, ont utilisé leur art et leur plume afin de décrire le monde dans lequel ils vivaient. À travers leur spleen se lisait la société de leur temps, avec ses bonnes et ses mauvaises choses qui la rende réelle. Ces poètes étaient les journalistes artistiques de leur temps. Ils décrivaient leur monde à travers leurs états d’âme. Les chanteurs ont repris le flambeau, par les différents genres. Le rock en son temps, puis le punk se sont plus engagés que les autres. Le rap a ensuite pris la place.
Un rôle de poète que des chanteurs de variété ont accepté également, Charles Aznavour en tête. L’interprète de « La bohème » disait, en 2008, « Les rappeurs sont les dignes héritiers des poètes. » Sur le plateau de l’émission Tenue de soirée, animée par Michel Drucker, Charles Aznavour confiait que « les rappeurs et les slameurs écrivent merveilleusement notre langue ». Le tout, juste avant un duo avec Kery James sur le titre « À l’ombre du show-business ». Grand Corps Malade, MC Solaar, La Rumeur, Lino, Youssoupha, Kery James, Keny Arkana, Chilla ou Médine sont donc dans la digne lignée des poètes de notre temps.
Peut-on ajouter Jul ou Heuss l’enfoiré à cette liste ? Dans quelque temps, oui, ils en feront partis, c’est certains. Ils manient la langue française à leur façon. Une langue évolue avec son temps et surtout ses néologismes. L’art fut responsable, en grande partie, de l’évolution de la langue. Le meilleur exemple reste « Abracadabrantesque », que l’on retrouve dans le poème « Mon cœur supplicié » d’Arthur Rimbaud en 1871, rendu célèbre par le président de la République Jacques Chirac en 2000. Ce mot fait désormais parti du langage commun.
Mais faut-il avoir des textes engagés pour être considéré comme un poète des temps moderne et savoir manier les subtilités de la langue française ? Pas forcement. La plateforme de streaming Deezer a analysé les paroles et le vocabulaire des chansons françaises. Et si, on retrouve en bonne place Renaud, connu pour ses textes très politisés, le premier est Rohff. Le rappeur n’est pas le premier nom que l’on entend lorsqu’on parle de « rap conscient ». Pourtant, c’est lui qui manie le plus le vocabulaire français.
Le rap a toujours une part de lui engagé, elle est seulement mise à l’écart des radios de grande écoute. Comme pour les informations, le moyen le plus sur est d’aller plus loin que ce que l’on nous donne. Aller rechercher quelque chose en plus pour mieux comprendre ce qu’il se passe autour de nous. l’engagement passe par les rappeurs, mais aussi, et surtout, par les auditeurs. Cela permet d’avoir des armes intellectuelles afin de contrer le déferlement de haine de plus en plus au quotidien. La musique, et le rap en particulier, permettent de prendre position contre des inégalités. Et qui prétend faire du rap sans prendre position ?
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